lundi 10 mai 2021

Courrier des lecteurs et réponse : sur Israël et sur l’antisémitisme

 

[publié en 2002, archivé ici]

Courrier des lecteurs et réponse : sur Israël et sur l’antisémitisme

Yves C : « Une erreur grave »
 

Chers amis,

Les pages 8 et 9 du numéro 3 de Socialisme me posent problème, car il s'agit pour moi d'une question sur laquelle je ne suis prêt à faire aucun compromis : celle de l'antisémitisme.

Vous mettez côte à côte deux photos, celle de soldats allemands et celle d'un soldat israélien. Vous devez savoir que certaines comparaisons peuvent inciter des esprits faibles (pour être gentil) à tomber dans l'antisémitisme le plus crapuleux. Je me demande donc comment vous avez pu ne pas vous rendre compte du danger de ce genre de comparaison. Dans quel monde vivez-vous ?

Lors d'une des manifestations de "solidarité" avec la Palestine à Denfert-Rochereau, mon quartier a été couvert d'affiches anonymes : "Hitler a un fils : Sharon" (je cite de mémoire). Tirer un trait d'égalité entre Sharon et Hitler risque d'amener des gens pleins de bonnes intentions (mais ayant, quand même, à mon avis, un petit fond antisémite inconscient) à donner libre cours à leurs pulsions racistes. Vos deux photos jouent le même rôle que ce slogan débile. Et les légendes sous les photos sont encore pires. Les soldats allemands ne "brimaient" pas les Juifs, ils les exterminaient sans la moindre pitié. La différence entre des brimades et l'extermination de 6 millions de personnes n'est pas une nuance de vocabulaire. Comment ne vous en êtes-vous pas rendu compte ?

De l'autre côté, vous présentez une photo d'un soldat israélien qui "menace" des Palestiniens. D'abord, votre photo est coupée pour ne pas dire tronquée : votre découpage laisse croire que le soldat menace la famille avec un enfant mais vous ne montrez pas la ou les personnes qui se trouvent certainement à terre ou plus loin. Vous ne précisez pas dans quelles circonstances a été prise la photo, alors que, pour ce qui concerne l'autre photo sur les Juifs, tout le monde sait ce qui s'est passé pendant la Seconde Guerre mondiale. De plus, le mot "menacer" est bien plus fort que le mot "brimer". Pour un esprit faible (ce qui n'est sans doute pas dans vos intentions) la conclusion est simple : ce que font les Israéliens aux Palestiniens est au moins aussi grave (sinon pire) que ce que les nazis ont fait aux Juifs.

Ce que fait l'armée israélienne en Palestine n'a rien à voir avec ce que les nazis et les Allemands ont fait aux Juifs. Il n'y a pas de camps d'extermination en Israël/Palestine. Les principaux partis de l'Etat démocratique israélien n'ont pas l'intention d'exterminer les Palestiniens et ne se sont jamais livrés à des pratiques d'extermination massive de milliers de Palestiniens. Laisser entendre le contraire est, pour être gentil, irresponsable. Par contre, c'est dans les Etats arabes que l'on diffuse librement les protocoles des sages de Sion et que tout un tas de nazis se sont reconvertis dans le conseil politique aux dirigeants politiques arabes après la Seconde Guerre mondiale. C'est dans les Etats arabes que les journaux diffusent quotidiennement de la propagande antisémite. Et c'est dans les Etats arabes que l'on tue ou emprisonne des Juifs, pour le simple fait qu'ils sont juifs. Et cela vous ne le dites pas.

En ce qui concerne les extraits du livre de Cliff et l'article de Daniel Lartichaux, tous deux sont remplis d'inexactitudes sur l'antisémitisme. Dans le premier article vous prétendez que "le seul ressort" des "actes horribles" commis contre les synagogues serait "le conflit au Proche-Orient". Vous oubliez de mentionner qu'il existe en France un antisémitisme très vivace, aussi bien dans les milieux de droite et d'extrême droite, que dans des franges marginales de la gauche, chez une partie de la population maghrébine et ses enfants. Les voix de Le Pen viennent d'électeurs de droite et de gauche ; de plus, la coexistence entre le judaïsme et la religion musulmane au Maghreb n'a pas toujours été pacifique, et depuis l'existence d'Israël, on ne peut pas dire que les Juifs du Maghreb aient eu la vie rose.

Si Israël n'existait pas et n'avait pas décidé, grosso modo après le procès Eichmann, de mener campagne partout dans le monde contre l'antisémitisme, on ne saurait pas le centième de ce que l'on sait aujourd'hui sur l'antisémitisme, la passivité de la majorité des populations européennes, les complicités des Etats bourgeois avant et pendant la Seconde Guerre mondiale. Ça, c'est la réalité. Si Israël utilise en partie l'Holocauste pour justifier sa politique colonialiste en Palestine, c'est parce que la gauche et l'extrême gauche se foutaient des Juifs et de l'antisémitisme, pour dire les choses de façon un peu caricaturale.

Amicalement,

Yves Coleman.

John Mullen : réponse

Bonjour Yves !

Une très rapide réponse à certains de tes questionnements, qui sont d'ailleurs les bienvenus.

Pour moi, les deux photos côte à côte d'un nazi et d'un soldat israélien constituent une erreur grave. - L'implication est évidente, que le sionisme soit une forme de fascisme, est radicalement faux.

Il y a, je suis d'accord, un antisémitisme de fond en France depuis très longtemps (chaque sondage à ce sujet le confirme). Néanmoins, dans le contexte d’une campagne sioniste de dénonciation de l'antisémitisme en France pour construire l'Etat d'Israël, déclarations de ministres israéliens à l’appui, il me semble important de souligner les liens entre les actes contre les lieux de culte et les Juifs en France, et la situation au Moyen Orient. Il ne faut pas non plus oublier les attaques du BETAR, une milice paramilitaire sioniste, en France récemment.

Dans chacune des manifs Palestine auxquelles j'ai participé, tout antisémitisme a été dénoncé par la quasi-totalité des manifestants et des organisateurs. Ce n'est pas dire que les actes antisémites ne sont pas graves, mais que la campagne actuelle qui cherche à rejeter la faute sur les Arabes est dangereuse. L'Etat d'Israël, bien sûr, puisqu'il déclare parler AU NOM DE TOUS LES JUIFS fabrique ainsi de l'antisémitisme à la chaîne. Les gens qui se sentent solidaires des Palestiniens, tués et traités comme du bétail dans l'indifférence des autres gouvernements, en concluent que ce n'est pas seulement la faute de Sharon mais de tous les Juifs, puisque c'est ce que disent l'Etat d'Israël et un certain nombre de dirigeants des organisations de la communauté juive.

Il est évident que cet Etat apparaît aux yeux de la majorité des Juifs de ce monde comme une garantie contre les pires excès de l'antisémitisme ; mais je crois que c'est un piège absolu. L'Etat d'Israël ne protège pas contre l'antisémitisme (une partie des dirigeants ne voudraient pas le faire). Je ne peux pas retracer ici l'histoire du sionisme, mais il me semble qu'une partie de sa nature est de refuser la lutte contre l'antisémitisme en faveur d'une séparation des Juifs. C'est Abram Léon dans son livre "Critique matérialiste de la question juive" qui me semble avoir mieux expliqué l'histoire.

John Mullen

[Quelques coquilles corrigées après publication initiale]