[publié en 2002, archivé ici]
Courrier des lecteurs et réponse :
sur Israël et sur l’antisémitisme
Yves C : « Une
erreur grave »
Chers amis,
Les pages 8 et 9 du numéro 3 de Socialisme me posent
problème, car il s'agit pour moi d'une question sur laquelle je ne suis prêt à
faire aucun compromis : celle de l'antisémitisme.
Vous mettez côte à côte deux photos, celle de soldats
allemands et celle d'un soldat israélien. Vous devez savoir que certaines
comparaisons peuvent inciter des esprits faibles (pour être gentil) à tomber
dans l'antisémitisme le plus crapuleux. Je me demande donc comment vous avez pu
ne pas vous rendre compte du danger de ce genre de comparaison. Dans quel monde
vivez-vous ?
Lors d'une des manifestations de
"solidarité" avec la Palestine à Denfert-Rochereau, mon quartier a
été couvert d'affiches anonymes : "Hitler a un fils : Sharon" (je
cite de mémoire). Tirer un trait d'égalité entre Sharon et Hitler risque
d'amener des gens pleins de bonnes intentions (mais ayant, quand même, à mon
avis, un petit fond antisémite inconscient) à donner libre cours à leurs
pulsions racistes. Vos deux photos jouent le même rôle que ce slogan débile. Et
les légendes sous les photos sont encore pires. Les soldats allemands ne
"brimaient" pas les Juifs, ils les exterminaient sans la moindre
pitié. La différence entre des brimades et l'extermination de 6 millions de
personnes n'est pas une nuance de vocabulaire. Comment ne vous en êtes-vous pas
rendu compte ?
De l'autre côté, vous présentez une photo d'un soldat
israélien qui "menace" des Palestiniens. D'abord, votre photo est
coupée pour ne pas dire tronquée : votre découpage laisse croire que le soldat
menace la famille avec un enfant mais vous ne montrez pas la ou les personnes
qui se trouvent certainement à terre ou plus loin. Vous ne précisez pas dans
quelles circonstances a été prise la photo, alors que, pour ce qui concerne
l'autre photo sur les Juifs, tout le monde sait ce qui s'est passé pendant la
Seconde Guerre mondiale. De plus, le mot "menacer" est bien plus fort
que le mot "brimer". Pour un esprit faible (ce qui n'est sans doute
pas dans vos intentions) la conclusion est simple : ce que font les Israéliens
aux Palestiniens est au moins aussi grave (sinon pire) que ce que les nazis ont
fait aux Juifs.
Ce que fait l'armée israélienne en Palestine n'a rien
à voir avec ce que les nazis et les Allemands ont fait aux Juifs. Il n'y a pas
de camps d'extermination en Israël/Palestine. Les principaux partis de l'Etat
démocratique israélien n'ont pas l'intention d'exterminer les Palestiniens et
ne se sont jamais livrés à des pratiques d'extermination massive de milliers de
Palestiniens. Laisser entendre le contraire est, pour être gentil,
irresponsable. Par contre, c'est dans les Etats arabes que l'on diffuse
librement les protocoles des sages de Sion et que tout un tas de nazis se sont
reconvertis dans le conseil politique aux dirigeants politiques arabes après la
Seconde Guerre mondiale. C'est dans les Etats arabes que les journaux diffusent
quotidiennement de la propagande antisémite. Et c'est dans les Etats arabes que
l'on tue ou emprisonne des Juifs, pour le simple fait qu'ils sont juifs. Et
cela vous ne le dites pas.
En ce qui concerne les extraits du livre de Cliff et
l'article de Daniel Lartichaux, tous deux sont remplis d'inexactitudes sur
l'antisémitisme. Dans le premier article vous prétendez que "le seul
ressort" des "actes horribles" commis contre les synagogues
serait "le conflit au Proche-Orient". Vous oubliez de mentionner
qu'il existe en France un antisémitisme très vivace, aussi bien dans les
milieux de droite et d'extrême droite, que dans des franges marginales de la
gauche, chez une partie de la population maghrébine et ses enfants. Les voix de
Le Pen viennent d'électeurs de droite et de gauche ; de plus, la coexistence
entre le judaïsme et la religion musulmane au Maghreb n'a pas toujours été
pacifique, et depuis l'existence d'Israël, on ne peut pas dire que les Juifs du
Maghreb aient eu la vie rose.
Si Israël n'existait pas et n'avait pas décidé, grosso
modo après le procès Eichmann, de mener campagne partout dans le monde contre
l'antisémitisme, on ne saurait pas le centième de ce que l'on sait aujourd'hui
sur l'antisémitisme, la passivité de la majorité des populations européennes,
les complicités des Etats bourgeois avant et pendant la Seconde Guerre
mondiale. Ça, c'est la réalité. Si Israël utilise en partie l'Holocauste pour
justifier sa politique colonialiste en Palestine, c'est parce que la gauche et
l'extrême gauche se foutaient des Juifs et de l'antisémitisme, pour dire les
choses de façon un peu caricaturale.
Amicalement,
Yves Coleman.
John Mullen :
réponse
Bonjour Yves !
Une très rapide réponse à certains de tes
questionnements, qui sont d'ailleurs les bienvenus.
Pour moi, les deux photos côte à côte d'un nazi et
d'un soldat israélien constituent une erreur grave. - L'implication est
évidente, que le sionisme soit une forme de fascisme, est radicalement faux.
Il y a, je suis d'accord, un antisémitisme de fond en
France depuis très longtemps (chaque sondage à ce sujet le confirme).
Néanmoins, dans le contexte d’une campagne sioniste de
dénonciation de l'antisémitisme en France pour construire l'Etat
d'Israël, déclarations de ministres israéliens à l’appui, il me semble
important de souligner les liens entre les actes contre les lieux de culte et
les Juifs en France, et la situation au Moyen Orient. Il ne faut pas non plus
oublier les attaques du BETAR, une milice paramilitaire sioniste, en France
récemment.
Dans chacune des manifs Palestine auxquelles j'ai
participé, tout antisémitisme a été dénoncé par la quasi-totalité des
manifestants et des organisateurs. Ce n'est pas dire que les actes antisémites
ne sont pas graves, mais que la campagne actuelle qui cherche à rejeter la
faute sur les Arabes est dangereuse. L'Etat d'Israël, bien sûr, puisqu'il
déclare parler AU NOM DE TOUS LES JUIFS fabrique ainsi de l'antisémitisme à la
chaîne. Les gens qui se sentent solidaires des Palestiniens, tués et traités
comme du bétail dans l'indifférence des autres gouvernements, en concluent que
ce n'est pas seulement la faute de Sharon mais de tous les Juifs, puisque c'est
ce que disent l'Etat d'Israël et un certain nombre de dirigeants des
organisations de la communauté juive.
Il est évident que cet Etat apparaît aux yeux de la
majorité des Juifs de ce monde comme une garantie contre les pires excès de
l'antisémitisme ; mais je crois que c'est un piège absolu. L'Etat d'Israël ne
protège pas contre l'antisémitisme (une partie des dirigeants ne voudraient pas
le faire). Je ne peux pas retracer ici l'histoire du sionisme, mais il me
semble qu'une partie de sa nature est de refuser la lutte contre
l'antisémitisme en faveur d'une séparation des Juifs. C'est Abram Léon dans son
livre "Critique matérialiste de la question juive" qui me semble
avoir mieux expliqué l'histoire.
John Mullen
[Quelques coquilles corrigées après
publication initiale]